Vous êtes ici : AccueilProjets et travauxÉdition digitale et étude de la polémique autour de Góngora
Édition digitale et étude de la polémique autour de Góngora
01 / 01 / 2013
LEMH : Littérature de l'Espagne et du monde hispanique au Siècle d'Or
Aude PLAGNARD, Florence d'ARTOIS, François-Xavier GUERRY, Héctor RUIZ, Jesús PONCE CÁRDENAS, Maria ZERARI, Mercedes BLANCO, Muriel ELVIRA, Roland BÉHAR, Samuel FASQUEL, Sara PEZZINI
Mercedes Blanco

Les grandes oscillations de la fortune de Luis de Góngora (1561-1627) auprès des lecteurs comme auprès de la critique et l’influence immense à court terme et persistante aujourd’hui d’une œuvre brève et réputée difficile, posent des énigmes qui méritent d’être élucidées. Ce qui exige d’abord de mieux connaître la querelle sur sa poésie qui se déroula au XVIIe siècle en Espagne, en touchant le Portugal et l’Amérique, car celle-ci témoigne d’un moment où l’œuvre n’avait pas encore trouvé sa place et s’imposait néanmoins aux lecteurs par ce qu’ils appelaient sa nouveauté, son caractère insolite, que d’aucuns estimaient sublime et captivant, et les autres, rebutant et scandaleux. Les documents de la querelle offrent du reste un panorama irremplaçable de l’univers de références et de préférences des lettrés espagnols à un moment particulièrement fécond pour les lettres de leur pays.

L’entreprise d’éditer et d’étudier cette querelle littéraire, très célèbre mais très imparfaitement connue, se justifie par l’importance de Góngora, définitivement hissé à la catégorie de grand classique de la langue espagnole, et dont l’exemple fut déterminant des deux côtés de l’Atlantique. Car les pièces polémiques (parmi lesquelles il faut inclure les commentaires, motivés d’abord par la défense de sa poésie) se sont avérées indispensables à la compréhension et à l’appréciation des poèmes, au repérage des sources, à la connaissance des circonstances de rédaction, depuis qu’il en existe une édition académique ou scientifique.

Mais elle se justifie aussi par le caractère instructif d’une réception exemplaire, en ceci qu’elle fait d’un ensemble de textes à la fois un modèle normatif et une anomalie. Cette réception, en posant avec acuité la question de la valeur littéraire, encourage à la théoriser.

Ce projet comprend donc deux volets : une édition digitale  critique et annotée des pièces de la polémique (une centaine de textes de longueur et d’importance très variable) ; une histoire et interprétation de cette polémique.

I. Edition digitale

Nous produirons un ensemble homogène, consultable en ligne, d’éditions critiques digitales des pièces de ce corpus pourvues de  l’appareil de variantes, d’annotations et de notices. Les annotations sont nécessaires pour faciliter la lecture de ces textes toujours érudits, parfois humoristiques et allusifs. Les introductions à chacune des pièces seraient la base sur laquelle viendra s’appuyer l’interprétation de la querelle.

Ce mode d’édition permettra de les soumettre à une consultation sélective, en établissant la liste des auteurs mentionnés, des extraits cités, et en permettant de retrouver de manière immédiate l’ensemble des occurrences de chacun dans l’ensemble ou une partie du corpus ; de chercher tous les passages où sont commentés, attaqués ou défendus telle expression, tel vers, tel passage de Góngora. On veut également mettre en place des systèmes d’interrogation permettant de retrouver la trace d’un concept ou d’une opinion.

Les pièces polémiques et les commentaires sur Góngora seront édités en espagnol. En un second temps, nous préparerons, pour favoriser l’interaction avec d’autres champs disciplinaires et avec les spécialistes d’autres littératures, les traductions françaises (et éventuellement anglaises) d’un choix de textes.

Cette édition sera logée sur un espace propre à Sorbonne-Universités, avec l’appui logistique du labex OBVIL.

II. Interprétation

Au fur et à mesure qu’avancera l’édition du corpus, nous mènerons un travail d’interprétation de différents points de vue, non exclusifs mais complémentaires.

1. Mobiles et stratégies des individus et des camps en présence

2. Enjeux herméneutiques et théoriques

Le débat sur la légitimité de l’œuvre et sur sa valeur de modèle enveloppe des questions théoriques sur la poésie : la nature du plaisir qu’elle procure, ses genres et ses modèles, ses rapports avec l’éloquence, avec le destin de la langue, celle-ci étant conçue comme un être vivant, qui croît ou décroît, mûrit ou se corrompt, avec la doctrine et la sagesse. Il est à noter que l’ensemble des arguments et des autorités mobilisés implique la reprise consciente du débat antique autour de l’obscurité en poésie, qui porte de préférence sur certains poètes extravagants tels que Lycophron et Perse, mais qui put même envelopper des classiques comme Pindare ou Virgile. La passion investie dans la querelle suggère que la poésie est déjà (ou encore) une pratique valorisée et surveillée. Quelle responsabilité à l’égard de la langue et de ceux qui la parlent, à l’égard de la pratique d’une sagesse, mondaine ou non, est donnée aux poètes ? reproche-t-on à Góngora une prétendue impuissance à plaire, à persuader ou à émouvoir ? ou, au contraire, une efficacité mise au service de buts indignes, ou dangereux ?

3. Querelles et histoire littéraire

Nous souhaitons situer la polémique sur Góngora dans l’ensemble des querelles qui ont traversé la littérature à l’époque moderne, en suivant un système de cercles concentriques. En Espagne, elle prolonge et renouvelle celle que provoquent les annotations par Herrera de Garcilaso environ trente ans plus tôt ; elle coïncide dans le temps avec des polémiques sur le théâtre, sur la prédication, sur la personne et l’œuvre d’autres écrivains, notamment Lope de Vega, Hortensio Félix Paravicino, Juan de Jáuregui et Francisco de Quevedo ; ces différentes controverses ont des liens multiples, ne serait-ce que l’identité des personnages qui y interviennent. Elle est liée par sa chronologie, par certains de ses thèmes et de ses méthodes, aux batailles italiennes autour du Tasse, de peu antérieure, et de Marino, contemporaine. Sans s’y rattacher de manière directe, elle présente des similitudes et des points de recoupement avec des épisodes polémiques qui interviennent dans les mêmes années en France (autour de Ronsard, de Malherbe ou de Guez de Balzac) ou avec d’autres qui traversent le XVIIesiècle, comme la querelle des Anciens et des Modernes.

Toutes ces querelles sont des signes et des opérateurs par excellence du changement historique qui affecte la littérature et auquel elle contribue.